MONSIEUR JOSEPH
1993 - je suis en pleine montagne,de rares tentes autour de la mienne ,il est 18 heure,il fait pratiquement nuit,la pluie lourde enveloppe tout,le torrent gronde furieusement,je suis à peine àu dessus,pas plus de trois mètres,un froid pénétrant m'oblige a allumer ma petite lampe à pètrole pour tenter de me réchauffer - un peu dangereux mais je suis très prudente - des blocs de plusieurs tonnes sont charriès dans un vacarme assourdissant - je jette un regard et je peux apercevoir le torrent limoneux qui ressemble à un attelage emballé que plus rien ne pourrait arrêter - spectacle inouï , fantastique, dont à la vérité je n'ai pas mesuré le danger - il y a eu ce jour là des morts, des destructions massives à Vaison-la Romaine - personne n'oublieras -
Pas très loin de moi, un vieux montagnard,un solide, un véritable, de ceux que j'admire et pour cause : malgré un confort douillet dans sa belle tente,deux prothèses de hanche et 81 balais, il est sorti pour faire une tranchée autour de ma petite tente afin que je ne sois pas inondée - je n'avais même pas de pelle malgrès des années de pratiques,mais il est vrai toujours dans une belle saison - Celui à qui appartient toute vie l'a rappelé à Lui et je garde au fond de mon coeur une grande reconnaissance pour le geste de cet homme que j'aimais beaucoup et que j'aime toujours dans ma mèmoire -
Quand revient le printemps mes pensées vont immanquablement en direction de cette Montagne ...les années ont passé ...elle est toujours là au fond de moi , fait partie de tout mon être , ajoutée de la nostalgie de ce que je ne pourrai plus vivre , mais dont les images fortes restent grâvées dans ma mémoire - cela fera cette année la troisième année que j'en suis éloignée - il me faudrait accepter d'aller en hôtellerie ( il y en a une fort belle à des prix raisonnables ) ...je n'arrive absolument pas à l'envisager !
Libre comme une cabre sauvage , partant à l'aube , rentrant à la nuit , mangeant sur le pouce , comment accepter de respecter un horaire , de dormir dans une chambre ? Je ne peux pas ! Jusqu'à ce jour mes enfants se désolent ...mais je ne peux pas !!! j'ai l'impression , et même plus qu'une impression , que cela gâcherait inéluctablement des souvenirs radieux , en effacerait peut-être ...ça me fait très peur parce que ces endroits superbes , quasiment grâvés en images très fidèles , me consolent et me redonnent la pêche comme on dit , quand le moral flanche - et comment ne faiblirait-il pas à écouter ...rien que les nouvelles de chaque jour ! Quand ça grise dans ma tête , je fais appel à un lieu où j'ai crapahuté , escaladé , médité , mangé , dormi , écouté tous les bruits , les murmures , les grondements ...comme pour les liens , un lieu suit l' autre et je puis en compter plus de dix dont je revois mentalement les merveilles qu'il m'offrit alors - Une véritable photothéque plus précieuse que tout ...alors je ne suis pas à plaindre c'est sûr! Cet été , je referai ces chemins incomparables en remerciant la Vie de me les avoir accordès...en vérité , j'en prends un chaque jour.